En juillet 2019, quelques jours après la marche des fiertés, un groupe d'hommes a abordé un couple de lesbiennes assis dans un bus londonien. Se comportant comme des voyous, ils ont commencé à demander aux filles de s'embrasser pour pouvoir les regarder. Essayant de calmer l'atmosphère, l'une des femmes a commencé à plaisanter, mais ils ont continué à les déranger. « J’ai commencé à faire des blagues. J’ai pensé que ça pourrait les faire partir. Chris a même prétendu qu’elle était malade, mais ils ont continué à nous harceler, à nous jeter des pièces et à devenir plus pressant ». Mais comment osent-elles, deux gonzesses dans un bus et en plus dans une attitude affectueuse en public, comment pourraient-elles faire ça ? Où était l'inséminateur ? Comment vont-elles procréer ? Parce que c'est impossible de le faire en bouffant des chattes, pas vrai ? Il y a beaucoup d'hommes confus, qui regardent leur pénis et ne savent plus quel rôle il joue dans ce gâchis moral.
Ce n'est pas facile, les pédés et les invertis ont toujours existé. Certains malades, d'autres vicieux... Eh bien alors, on les traite ou on les emprisonne selon les cas et voilà. Mais d’où viennent ces tatas ? La nature des lesbiennes n'a aucune raison d'être. Le rôle d'une femme est d'être à la maison, de faire la cuisine pour l'homme, d'avoir ses enfants et de le soulager sexuellement ; au mieux, elle peut avoir une amie à qui écrire ou avec qui faire des trucs de filles. Ça, c’est acceptable, mais coucher ensemble ? Qui pénètre qui ? Voilà ce que tant de libération et tant de féminisme ont accompli. La vérité est que, comme c'est le cas aujourd'hui en Iran avec l'homosexualité (où « ce phénomène » n'existe pas), dans le monde occidental, il n'y avait pas non plus de lesbiennes. Les femmes sont des êtres sentimentaux, pas sexuels. Les rapports sexuels ne sont qu’une autre tâche du mariage, comme coudre des boutons ou préparer le repas. Des femmes qui baisent entre elles, qui jouissent de se toucher, qui gémissent de plaisir sans avoir un homme à côté d’elles… Mais de quel cerveau pourrait sortir une idée aussi saugrenue ?
Il n’y a pas si longtemps, les gouines étaient des « amies romantiques ». Même dans le contexte du mariage, il était toléré qu’une femme ait une amie proche. Le concept était si répandu parmi la haute société européenne qu'il était même accepté (à moitié) que deux amies puissent vivre ensemble. Après tout, qu'allaient-elles faire ? À titre d'exemple, dans le Paris de la Belle Époque, il existait des salons où se réunissaient des femmes homosexuelles. La présence du lesbianisme était tolérée dans certains milieux lettrés ou fortunés, notamment chez les peintres et les artistes bohèmes de toutes sortes.
Ainsi, il existait certains bars, brasseries, cabarets et tables d’hôtes où les femmes se rencontraient pour cultiver une « amitié romantique ». Des amies romantiques ? Mon œil. Il est vrai que la langue française n'est pas aussi riche en termes pour définir les lesbiennes que lorsqu'il s'agit de nommer les pédés (tapettes, pédales, folles, lopettes, tantes, fiottes, tantouses, tafioles, tarlouzes…), mais quand elles ont fait leur coming-out collectif, notre langue était pleine de mots pour les désigner. Il y a des mots moins courants que « gouine » pour désigner les lesbiennes et ils font souvent référence aux femmes « de mauvaise vie » ou qui aiment « manger » : gougnotte, gousse, goudou, goule, gouge (sans oublier d'autres plus lancinants, comme broute-minou)… Friedrich Christian Diez, considéré comme le père de la philologie romane et grand érudit de la langue française, a étudié l'origine du mot « gouine ». Bien qu'on ne le sache pas avec certitude, Diez en voit l'origine dans le verbe latin « gaudere », qui signifie « se réjouir ». À travers « gaudere », le mot est devenu « godinette », d'où le terme actuel. Selon Julie Podmore, responsable de la chaire de recherche sur l’homophobie à l’Université de Québec à Montréal, la première fois que le mot est apparu avec une connotation péjorative, c’était dans le Dictionnaire de l’Académie française en 1762. À cette époque, le mot était utilisé pour désigner les « femmes de mauvaise vie », c'est-à-dire qu’il était associé à la prostitution. De nos jours, selon le contexte, il peut être une insulte lesbophobe ou une revendication de l’identité sexuelle lesbienne.
Malgré tout, la chose la plus courageuse à faire pour lutter contre un terme blessant est de se l'approprier, et c'est ce qu'elles ont fait, les gouines qui doivent expliquer pourquoi elles sont victimes d'attaques haineuses par le simple fait d'aimer.